Covid-19 oblige, l’événementiel passe au distanciel. A commencer par les congrès médicaux. Depuis mars 2020, ils sont nombreuxà avoir adopté une forme digitale. Une version qui change la façon de transmettre l’information, mais modifie aussi les relations entre les participants. Or, ce modèle risque fort de perdurer. Alors comment l’apprivoiser ? Peut-on l’améliorer ? Est-il compatible avec des échanges spontanés entre intervenants et public ? Est-ce la fin annoncée du présentiel ?... Autant de questions qui ont été posées lors de la Web Matinale de la FNIM du 28 avril 2021. Un débat auquel deux experts, en la matière, étaient conviés. A savoir AlessiaUsardi, directrice médicale France et Benelux chez Kyowa Kirin, et le Pr Faiez Zannad, professeur émérite, thérapeutique et cardiologie, à l’Université de Lorraine, Inserm et CHU, à Nancy. Ensemble, ils ont évoqué les solutions numériques du moment, fait part de retours d’expériences et brossé les contours des congrès de demain.
L’épidémie de Covid-19 n’a pas transformé la digitalisation amorcée depuis ces dernières années. Elle l’a accélérée. D’un coup, le monde entier s’est tourné vers le tout numérique. Ecoliers et lycéens ont découvert les cours à la maison. Les salariés ont goûté au télétravail. Les entreprises ont calé modes de fonctionnement et modèles économiques sur le « cyber ». Selon l’OCDE, « dans certains pays, l’augmentation du trafic Internet a atteint jusqu’à 60 % peu après le début de l’épidémie ». Du jamais vu. Dans le secteur de l’événementiel, il faut tout revoir, repenser, réinventer. Il n’est plus possible de réunir des centaines de participants dans un même lieu, clos, confiné, comme avant. Les congrès médicaux font partie de ces manifestations dont il faut redessiner l’intégralité des contours. « Avant le Covid-19, chacun de ces congrès était un moment social. Un rendez-vous important pour rencontrer, échanger, en particulier en marge des conférences. D’ailleurs, ces derniers temps, les grands amphis étaient désertés au profit des salles de sous-commissions. On ne venait plus pour écouter les présentations scientifiques magistrales. Seuls les scoops attiraient les foules et ce qui se disait an aparté, dans les petits salons feutrés ou près des machines à café », constate le Pr FaiezZannad. Professeur émérite, thérapeutique et cardiologie, à l’Université de Lorraine, Inserm et CHU, à Nancy, il reconnaît que ces confessions et discussions en « off » sont difficiles à remplacer avec le distanciel. Avis partagé par Alessia Usardi. La directrice médicale France et Benelux chez Kyowa Kirin, rappelle que, jusqu’en mars 2020, « la formule gagnante » pour un laboratoire pharmaceutique,lors d’un symposium, était de « faire une communication scientifique, donner les résultats d’essais cliniques et installer des stands pour créer du contact direct avec les participants ». Un mode opératoire qui vole en éclats aujourd’hui. Seul le triptyque, qui associe sociétés savantes, éditeurs de congrès et industrie pharmaceutique, reste un bon écosystème. A condition de trouver d’autres façons de communiquer. En particulier avec les jeunes générations de professionnels de santé.« Aujourd’hui, aucun étudiant en médecine ne vient en cours avec des livres. Tout est sur ordinateur », souligne le Pr Faiez Zannad. Autrement dit : les futurs praticiens sont paréspour le distanciel. Reste à trouver la solution pour continuer de montrer « ce qu’il se passe dans les couloirs et les réunions satellites », insiste le professeur émérite. « Les jeunes sont à l’aise dans ce monde digital, confirme AlessiaUsardi. Durant la crise sanitaire, il était évident pour eux de se connecter à des plateformes. Mais pour ce qui est du réseautage en dehors des conférences à distance, on n’a pas encore trouvé la solution idéale. »
Le « replay » n’a pas la cote
Alessia Usardi et le Pr Faiez Zannad sont sur la même longueur d’onde lorsqu’il s’agit de préserver une impression de « direct », lors d’une communication en distanciel. Le professeur émérite parle de « spectacle vivant »à maintenir. Une instantanéité d’autant plus pertinente à l’heure de l’info en temps réel sur les réseaux sociaux et sur n’importe quel smartphone. Le « replay » n’a pas la cote dans le cadre d’un congrès médical. Les participants veulent les bruits de couloirs, les confidences, les projets en cours. Ils veulent aussi sentir et ressentir un auditoire vibrer, applaudir, réagir à l’annonce d’une avancée thérapeutique, d’une nouvelle molécule, d’essais cliniques concluants. Le Pr Faiez Zannad voit ici l’occasion de ne plus « servir de soupe tiède » à un public, mais d’aller à l’essentiel. A savoir, la nouveauté, l’inédit, le scoop. Pour cela, il croit à ces tables rondes de deux ou trois intervenants, animées par un modérateur, sans public, mais avec une caméra qui filme et diffuse en direct.« Même si parfois ça tombe en panne, ça se déconnecte, ça se brouille… c’est comme dans la vraie vie ! C’est ça, le spectacle vivant et cette spontanéité du direct. Le public n’aime pas le réchauffé. Il veut un jeu de questions-réponses à la fin et pas des bribes de commentaires d’intervenants enregistrés en amont et qui ne se sont pas écoutés mutuellement », poursuit le professeur émérite. « Du côté des laboratoires pharmaceutiques, il est vrai que l’on a tendance à pré-enregistrer des interventions, afin de respecter un timing, précise Alessia Usardi. Mais, du coup, ça manque d’interaction, or c’est cela qui attire le public et le fait rester tout au long d’une visioconférence. Il faut créer de l’entregent, ouvrir une discussion à la suite d’un débat. » Mais ce n’est pas toujours facile à concrétiser. Surtout que beaucoup découvrent technique et pratique de ces outils de réunions, conférences, congrès, à distance. Présent au débat de la Web Matinale de la FNIM, Patrick Wahby a fait état d’un retour d’expérience. A la tête de l’agence de communication événementielle Overcome, il a mené quelque 35 conférences en distanciel depuis le début de la crise sanitaire. Conséquence : il a dû s’adapter et se former sur le tas. Car une web-conférence ne s’improvise pas du jour au lendemain. « Il faut avoir une équipe pour produire cet événement virtuel, dit-il. Et surtout, ça se prépare. Chaque orateur donne ses documentsen amont, sur une clé USB, et on doit être prêt à se mettre dans la peau d’un animateur télé. » A cela s’ajoute la problématique de visibilité des exposants. Sur un salon, ils ont des stands. Mais sur le Web, par quoi remplacer ces corners conçus pour recevoir du public, dialoguer, donner des cartes de visite, boire un café… ? La question est posée.
Demain, « le format d’un congrès sera hybride »…
« Demain, nous serons en phygital. » C’est le Pr Faiez Zannad qui le dit. « Phygital » : c’est la contraction entre « présence physique » et «mode digital ». « Le format d’un congrès sera hybride », poursuit le professeur émérite. Des tables rondes en petits comités pourraient être organisées sous forme de webinaires. Mais le médecin de Nancy préconise de maintenir des réunions en présentiel « pour l’annonce de grands scoops » et « créer des espaces de rencontres entre les participants ». Un mélange des genres et des gens aussi. La pluridisciplinarité est plébiscitée tant par le Pr Faiez Zannad que par Alessia Usardi. « Il faut mixer les environnements, oublier les grands messes où l’on n’annonce rien et faire tomber les barrières entre les disciplines médicales : ondoit pouvoir parler de diabétologie et cardiologie à une même tribune. On doit aussi pouvoir mettre autour de la même table virtuelle, des médecins, des patients, des assureurs, des avocats… », suggère le Pr Faiez Zannad. Une mixité d’orateurs et une pluralité de partenaires. Le duo invité à débattre lors de la Web matinale de la FNIM a évoqué la possibilité de créer des interactions locales, et ainsi retrouver l’esprit de proximité de la machine à café. Comment s’y prendre ? En réunissant, le temps d’un webinaire, des petits groupes de professionnels de santé d’un même service, d’un même hôpital, d’un même quartier ou encore d’une même ville, puis les inciter à interagir ensemble, à l’issue de cette conférence en distanciel. « On l’a testé et ça marche ! Le petit comité, ça plait », commente la directrice médicale chez KyowaKirin. Les symposiums au bout du monde risquent donc de se faire de plus en plus rares. Ce qui est bon pour le bilan carbone de l’industrie pharmaceutique, comme pour celui des agences d’événementiel. « Aujourd’hui, on peut parfaitement rester dans son bureau et accéder à plusieurs événements internationaux en même temps. On peut même intervenir et passer d’un séminaire à un autre, d’une salle de sous-commission à une autre », souligne le Pr Faiez Zannad. A ce titre, il invite et incite les sociétés savantes, éditeurs de congrès et industrie pharmaceutique à « être créatifs ». Réaction de Laurent Tordjman, directeur commercial de l’agence La Fonderie Healthcare, présent à la Web Matinale de la FNIM : « En tant qu’agence, on se doit en effet d’être créatif. Mais les nouveaux formats à inventer nécessitent des investissements. Désormais, nous devons travailler avec des personnes qui savent filmer, faire des plans de coupe et du montage. On doit aussi s’ouvrir à la réalité augmentée et autre concept immersif. Mais tout cela a un coût. » Quid aussi du niveau de sécurité d’une diffusion sur le Web ? Surtout dans le cas d’un direct qui peut-être enregistré… Enfin, peut-on imaginer remplacer ce qui se dit près d’une machine à café par des chats en fin de webinaire ? Alessia Usardi a déjà testé ce type de « pause-café numérique », lors de réunions informelles, et elle a été convaincue. Bref, les contours des congrès de demain sont en train de s’esquisser. Les acteurs sont actuellement en plein apprentissage. Mais une chose est certaine, selon la directrice médicale chez Kyowa Kirin : « Nous devons travailler tous ensemble. Professionnels de santé, agences, labos, nous devons co-créer, quitte à limiter le nombre de congrès. Quitte à faire moins, mais mieux. »