Dans la jungle des applis santé
de gauche à droite : Eric Phelippeau (Président de la FNIM), Sabine SCALA (Manager Digital du Laboratoire Pfizer), Marie-Charlotte BELMONTE (Responsable Digital du Laboratoire Janssen) et Laurent MIGNON (Dirigeant de Lauma Communication).
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Les chiffres impressionnent : début 2015, on dénombrait 1,4 million d’applis sur Google Play et 1,2 million sur App Store ; en 2014, selon le cabinet d’analyse Gartner, 138,8 milliards d’applis ont été téléchargées dans le monde et on en prévoit 268 milliards en 2017. Cet engouement massif des Terriens connectés touche-t-il aussi l’univers de la santé, des patients aux médecins et aux laboratoires ? Réponses en compagnie de Laurent Mignon, dirigeant de Lauma Communication, Sabine Scala, Manager digital chez Pfizer et Marie-Charlotte Belmonte, responsable digital chez Janssen.
Laurent Mignon : présentation de deux études menées par le Lab e-Santé*
« Existe-t-il des points de convergences entre PS et patients autour de la santé digitale ? Pour répondre à cette question, deux enquêtes ont été réalisées en France auprès des PS (1670 répondants) au printemps 2014 et auprès des malades chroniques (2226 répondants) début 2015.
La première enquête révèle que les PS sont suréquipés relativement au reste de la population : 88% des PS possèdent un smartphone et/ou une tablette (moyenne France : 55,7%). Mais sont-ils pour cela utilisateurs de santé mobile ? Oui : 65% utilisent une mApp pour leur pratique quotidienne, essentiellement dans le cadre d’usages antérieurs transposés (exemple : l’ancien Vidal papier transféré dans le smartphone). Comment les PS choisissent-ils leurs applis ? En discutant entre eux (55%) ou grâce à l’information (30%) – blog, site web, presse médicale en ligne. Télécharger une appli est-il synonyme d’utilisation ? D’abord ils téléchargent peu, moins de 5 applis durant les 6 derniers mois (75,6%) ; ensuite, ils utilisent moins de 5 applis en une semaine (9 sur 10). Pourquoi ? A cause de quatre freins principaux : pas de bénéfice à l’usage (28,5%), achat payant (19%), manque d’ergonomie (13,5%), inscription obligatoire. A l’inverse, pourquoi les PS utilisent les applis ? Parce qu’elles sont utiles à leur pratique (44,2%), parce qu’elles représentent un gain de temps (28,4%) et parce qu’elles sont simples (21,8%) – d’où l’importance de la clarté de conception et de l’ergonomie des applis. Y a-t-il un début d’intérêt des PS pour les applis patients ? Seulement 24% ont téléchargé une ou plusieurs applis patients pour voir, mais 59,2% n’ont rien téléchargé, et moins de 10% ont conseillé une appli à leur patient. Il reste un long chemin à parcourir pour connecter PS et patients – ce que l’on va vérifier avec la seconde étude.
La seconde enquête montre que 71% des malades chroniques sont eux aussi suréquipés en smartphone et/ou tablette (près de la moitié des diabétiques possède un smartphone et une tablette). Or, seulement 1 sur 5 a déjà téléchargé une appli santé (exception : les diabétiques). Pourquoi ? Par ignorance de ce qu’est une appli de santé mobile (31%) ou par conviction (25% n’en voient pas l’utilité) : ceci corrobore le fait que sur les 150 000 (environ) applis de santé, les ¾ disparaissent chaque année. Mais pourraient-ils changer d’avis ? Oui, à condition d’être conseillé par un médecin (52%) ou une personne touchée par la même maladie (24%). Dans le domaine de la santé mobile, le rôle prescripteur du médecin est fondamental, et pourtant, seulement 4% des médecins jouent ce rôle : dans la jungle de la santé mobile, 20% des malades chroniques se débrouillent par eux-mêmes en cherchant des applis sur le web et dans le grand bazar des stores grand public. Pour quelles raisons se servent-ils de certaines applis ? Pour mieux gérer la maladie (60%) et parce qu’elles sont utiles : ainsi, montrer le bénéfice à l’usage s’avère très important en termes de communication. Y a-t-il un dialogue patient/médecin à propos des applis santé ? Plus de 4 malades chroniques sur 10 en ont déjà parlé à leur médecin (1 sur 2 en a parlé à un autre malade chronique).
En conclusion, si la confiance n’est plus un problème (seulement 12% des PS et 6% des malades ne téléchargent pas par manque de confiance), le conseil médical reste quasi inexistant (9% des PS ont téléchargé une appli santé dans le but de la conseiller à leur patient, alors que plus de la moitié des patients attendent des PS un conseil !).
A l’aune de ces résultats, le Lab e-Santé a formulé 5 recommandations :
- Répondre à un besoin (insister sur l’utilité des applis)
- Partager les objectifs entre PS et patients
- Accompagner l’usage de l’appli (faire vivre, améliorer par des versions supérieures, relancer)
- Créer de la confiance
- Communiquer (le budget de la communication globale d’une appli équivaut souvent à celui de son développement) ».
Vision laboratoire 1 : exposé de Sabine Scala (Pfizer)
« Chez Pfizer, le patient est au centre des préoccupations : toutes nos activités, globalement ou localement, de la R&D au commercial, ont pour objectif de le servir au mieux. Cinq Business Units ont en charge la commercialisation des différents produits et chacune a sa propre stratégie marketing. Au sein de ma propre BU, intitulée Global Innovative Pharma (Inflammation, Maladies rares, Maladies cardio-vasculaires et Santé de la femme), nous sommes les seuls à bénéficier d’une équipe marketing digitale dédiée et nous animons des groupes transversaux pour essayer d’impulser la digitalisation au sein de Pfizer. Chaque BU met en place ses stratégies clients et produits intégrant son activité digitale. Ainsi, la BU Oncologie, qui a depuis longtemps développé des programmes d’accompagnement du patient, a mis en place un programme digital en partenariat avec l’AFSOS (intitulé La vie autour) pour mieux faire connaître les soins de support à la disposition du malade et en faciliter l’accès. Il s’agit à la fois d’un site et d’une appli (Google play et App Store) qui offrent une cartographie interactive, mise à jour toutes les trois semaines, qui permet aux patients de repérer à proximité de chez eux l’ensemble des associations proposant des soins oncologiques de support à leur disposition – soit 500 points de contact partout en France. Aujourd’hui, une cinquantaine d’associations de patients font partie du programme et l’objectif est d’en fédérer plusieurs centaines. C’est une première en France ».
Vision laboratoire 2 : exposé de Marie-Charlotte Belmonte
« Janssen, laboratoire pharmaceutique appartenant à Johnson&Johnson, est bien sûr très engagé auprès des patients en termes de traitements comme en termes de services. Aujourd’hui Janssen oeuvre en priorité dans 5 domaines thérapeutiques hautement spécialisés : les neurosciences, l’immunologie, l’onco-hématologie, les maladies cardio-vasculaires et troubles métaboliques, et les maladies infectieuses. Nous travaillons étroitement en partenariat avec les associations de patients dans les domaines de l’hépatite C, du psoriasis (dépistage, prévention) ou du sida. Janssen a développé il y a deux ans, sous forme d’appli mobile destinée aux PS, un calendrier d’événements (colloques, congrès etc) avec des informations pratiques (horaires, programmes, interventions, hôtel le plus proche…). On propose aussi aux médecins oncologues et hématologues hospitaliers deux applis, Onco Box et Chir Box, qui sont des outils de calcul et de mesure (Indice de Masse Corporelle, Volume Sanguin Total). Avec quelle efficacité ? On note que l’identification constitue un frein et que l’utilisation de ces applis reste assez timide. Côté patients, existent deux applis : l’une sur l’hygiène de vie des patients atteints du VIH (conseils pratiques : diététique, sommeil, sevrage tabagique) ; l’autre, co-produite avec l’association France Psoriasis, est un carnet de suivi de l’évolution de la maladie. Notre approche a consisté à lancer des applis au niveau local, co-développées avec des experts pour les applis PS ou avec les associations pour les applis patients, portées par la VM mais aussi, et surtout, par des actions multi-canal (display, e-mailing, flyer, portail sites, centre d’appels).
Denis Briquet pour la FNIM
* Le Lab e-Santé est un groupe de réflexion (6 collèges : entreprises, éditeurs, PS etc) qui vise à faire avancer la connaissance des usages, pratiques et freins des outils numériques en santé – aujourd’hui en plein essor. Il émet des recommandations, tant auprès des acteurs privés que publics.