Il tient une forme… olympique ! Le marché mondial du médicament devrait dépasser les 2 000 milliards de dollars d’ici à 2027. Autrement dit : il croît partout. En Europe, le marché grimpe de 5 à 6% chaque année. Dynamique identique, si l’on se focalise sur la France. Et aux États-Unis, la croissance annuelle atteint même les 7 à 8%. Ces données sont issues de l’édition 2024 du « Panorama IQVIA du marché français de la santé, bilan et prospectives ». Celle-ci a été présentée lors de la Matinale de la FNIM du 19 juin 2024, organisée dans les locaux du Roof Top Grenelle, à Paris. Une Matinale également relayée en distanciel. Le tout avec les éclairages et les expertises de Yann Rateau, directeur Consulting Services & Analytics chez IQVIA, et Delphine Houzelot, senior directrice Prix et Accès au Marché, Real World Solutions, également chez IQVIA. En plus du commentaire des données chiffrées de l’étude, le duo d’intervenants a évoqué les enjeux de demain pour le système de soins français. En effet, comment les laboratoires pharmaceutiques peuvent-ils continuer de se développer dans un environnement réglementaire et budgétaire de plus en plus contraint ? L’accès aux traitements est-il le même pour tous les patients sur notre territoire, alors que les prérogatives en matière de prescription et de dispense de soins évoluent ?... Des questions et réflexions qui ont rythmé cette Matinale, animée par Denise Silber (Basil Strategies) et Maxime Clément (Medscape Professional Network), respectivement vice-présidente et trésorier de la FNIM. Une Matinale riche en 8 enseignements clés sur le marché français du médicament.
1 - Hausse de 5% par an du marché français du médicament
2 000 milliards de dollars. C’est ce que va représenter le marché mondial du médicament d’ici à 2027, selon le Panorama IQVIA 2024. Avec dans le trio de tête des aires thérapeutiques majeures : l’oncologie (214 milliards de dollars), le diabète (165 milliards) et l’immunologie (162 milliards). Quant à l’obésité, elle pourrait atteindre les 131 milliards de dollars d’ici à 2028. Dans le cas particulier de la France, aussi, le marché du médicament se porte bien. L’étude IQVIA fait état d’une croissance de 5% par an d’ici à 2028. Une dynamique tirée par l’hôpital, où le marché du médicament augmente de 7,1% sur la période 2023-2028, quand celui de la médecine de ville ne dépasse pas les 3,5% de croissance sur cette même période. Explication du phénomène : « La liste en sus reste le driver principal de la croissance à l’hôpital », souligne Yann Rateau, directeur Consulting Services & Analytics chez IQVIA. En effet, le Panorama IQVIA 2024 rapporte une croissance des dépenses de la liste en sus de 13% entre 2022 et 2023. Même constat de hausse (+9%) pour les dépenses de médicaments au sein des groupes homogènes de séjour (GHS). Dans ces deux cas, les antinéoplasiques représentent la classe thérapeutique la plus performante.
2 - Système de soins français sous-tension
En marge des chiffres qu’elle délivre, l’étude IQVIA 2024 dresse également la liste des enjeux nationaux et internationaux qui vont avoir des conséquences sur le marché de la santé. Au niveau « macro-environnement », « les laboratoires continuent à jouer le jeu de l’innovation, avec un impact fort sur la prise en charge des patients », observe Yann Rateau. Toutefois, nuance-t-il, « le système de santé n’est pas toujours prêt – financièrement ou structurellement – à adopter ces avancées ». Ce qui est le cas en France, dont le système de soins souffre. Au personnel démissionnaire, ou en burn out, s’ajoutent les retards de diagnostics post-pandémiques, la problématique des déserts médicaux – y compris en plein Paris, à cause de loyers trop élevés – ou encore des coupes dans les budgets de soins… « Ce qui compromet l’équité d’une prise en charge des patients », explique Yann Rateau. Et ce d’autant que « les médecins ne se trouvent pas là où sont les malades ». Un exemple : dans les Ardennes, seuls 14% des personnes diabétiques consultent un médecin spécialiste, contre 49% à Paris. Même écart quant aux pathologies cardio-vasculaires. Conséquence : les laboratoires doivent repenser leur rôle comme leur stratégie vis-à-vis des professionnels de santé. De quelle façon ? « En intégrant ces disparités dans les modèles de forecasts, en particulier dans la cinétique de pénétration d’un produit sur le marché, mais aussi dans les réflexions sur un accès équitable à l’innovation », dit encore Yann Rateau.
3 - Développement de l’exercice médical dans un cadre salarié
Le Panorama IQVIA 2024 met également l’accent sur l’évolution des modes d’activité chez les médecins de ville. Avec des écarts de densité qui persistent : l’attractivité des zones rurales reste une problématique. Quant à l’activité libérale, elle chute : l’étude révèle une baisse de 17% de médecins généraliste libéraux entre 2010 et 2023. Dans le même temps, la part de généraliste salariés atteint désormais les 37%. Dans cette même veine, en 2023, la France ne comptait pas moins de 781 CPTS [1] et 2251 MSP [2] regroupant 9 000 infirmières et 8 000 généralistes. Une réalité de terrain que l’industrie pharmaceutique doit prendre en compte désormais lorsqu’elle cherche à « approcher » les blouses blanches. Autrement dit : la visite médicale doit s’adapter à l’exercice de la médecine dans un cadre salarié et considérer la prescription dans une logique de coopération pluridisciplinaire, de fédération de compétences et de parcours patient coordonné.
4 - Nouvelles missions des pharmaciens
Ce contexte donne un nouveau rôle et de nouvelles missions aux pharmaciens. Et ce d’autant que leur couverture territoriale reste homogène et que leur relation de proximité avec les patients existe déjà. Selon l’étude IQVIA 2024, la vaccination grippale a ainsi grimpé de 4,3% en officines, comparé à 2022. Autre constat : en 2023, le rappel vaccinal - lancé en novembre 2022 - a été réalisé par 80% des pharmaciens et le kit cancer colorectal – lancé en janvier 2023 - par 70% d’entre eux. Par ailleurs, dans le cas de l’oncologie, le Panorama IQVIA 2024 rapporte que les coopérations pluridisciplinaires améliorent la prise en charge. Toutefois, les délais post-pandémiques ne sont pas encore absorbés. La preuve : le délai de diagnostic concerne 75% des cancers du sein, 65% des cancers colorectaux et 63% des cancers du poumon.
5 - Pénurie de médicaments et ruptures de stocks
Concernant les approvisionnements en médicaments, les stratégies varient selon les pays, note l’étude IQVIA. Chacun y va de sa solution pour réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine et de la Russie. Les régulateurs divergent. La pression sur les marges incite à se focaliser sur des marchés développés. Et si les laboratoires décidaient de prévoir des portefeuilles produits différents selon les régions qu’ils souhaitent toucher ? La question est posée… Pendant ce temps, « ce contexte international favorise les ruptures de stocks » note Yann Rateau. L’étude IQVIA 2024 pointe, en effet, des pénuries croissantes de médicaments contre le cancer depuis 2020, aux États-Unis. Quant à la pénurie mondiale de Wegovy, elle s’explique par l’augmentation de la demande des consommateurs. Et pour cause : ce traitement contre l’obésité peut réduire de 20% les risques d’événements cardio-vasculaires... C’est pourquoi le Panorama IQVIA 2024 insiste sur l’importance de « sécuriser l’approvisionnement ». De quelle façon ? En relocalisant, en délocalisant, en investissant dans la production de produits clés qui tiennent compte des fluctuations des marchés, en identifiant les « médicaments critiques », en coopérant entre pays ou encore en imaginant des réseaux de partage de données…
6 - Montée en puissance de l’accès précoce
Autre constat de l’étude IQVIA : « Après plusieurs années d’innovations en oncologie et maladies rares, 2023 est marquée par l’arrivée de molécules mass market. » Ainsi, selon Delphine Houzelot, « une vingtaine de nouveaux produits, pour traiter l’obésité, vont arriver sur le marché d’ici à 2030 ». Elle fait également état d’une augmentation de l’activité de la Commission de la Transparence, due à « la montée en puissance de l’accès précoce ». « En 2023, 239 dossiers ont été examinés par cette Commission, dont 58 concernaient l’accès précoce », dit-elle encore. Et si l’on raisonne par classe thérapeutique, près de 40% des avis rendus par la Commission de la Transparence ciblaient des médicaments en oncologie, 11% des maladies infectieuses, 10% des maladies rares ou encore 6% de la dermatologie. Quant aux SMR [3] importants, « ils restent majoritaires en 2023 (à + de 70%) », souligne Delphine Houzelot, Toutefois, l’étude IQVIA 2024 pointe toujours 6% de SMR insuffisants. Dans le détail : parmi ces 28 SMR modérés ou faibles, 8 spécialités n’auront pas de prise en charge et seront inéligibles à la liste en sus. La senior directrice Prix et Accès au Marché chez IQVIA voit en l’accès précoce à la fois « une spécificité française » et « une façon de favoriser un accès plus rapide des patients aux innovations ». Depuis 2021, « 123 indications ont bénéficié d’un accès précoce en France, permettant de répondre à des besoins thérapeutiques pas encore couverts pour des patients atteints de maladies graves, rares ou invalidantes, dont le traitement ne peut être différé », stipule le Panorama IQVIA 2024. Rappelons que ce dispositif d’accès précoce permet de gagner jusqu’à 4 ans dans la mise à disposition d’un traitement innovant pour les patients.
7 - Avenir sombre pour les médicaments destinés aux maladies orphelines
Rien ne va plus concernant les traitements des maladies orphelines. D’un côté, des mesures incitatives conduisent à une forte activité. Ainsi, ces 5 dernières années, 53% des lancements aux États-Unis étaient des orphans. De l’autre côté, certains catalyseurs des médicaments orphelins sont à risque sur des marchés importants. À l’instar du marché américain sous restriction budgétaire. L’Allemagne, pour sa part, fait face à une réduction de 40% du seuil d’évaluation pour un bénéfice complet. Quant à l’Europe, une réforme a été proposée pour réduire l’exclusivité des brevets de 10 à 9 ans, sachant que – faute de réelle concurrence - 90% des orphans biologiques n’ont pas de biosimilaire en développement. Delphine Houzelot a d’ailleurs terminé la présentation du Panorama IQVIA 2024 en évoquant les biosimilaires. Un marché compliqué, reconnaît-elle. Un seul chiffre, qui en dit long : « Plus de 70% des produits biologiques n’ont pas de biosimilaire en cours de développement. »
8 - 61% des prescripteurs en attente de contenu personnalisé
En guise de conclusion, Yann Rateau et Delphine Houzelot reconnaissent que l’industrie pharmaceutique doit faire face à de nouveaux enjeux. La donne a changé. Les professionnels de santé aussi. En France, ils sont de plus en plus difficiles à approcher le temps d’une visite médicale. La preuve : « En 2023, on a pu observer une chute de 30% des contacts entre blouses blanches et visiteurs médicaux. Dans le même temps, 61% des prescripteurs veulent du contenu personnalisé », indique Yann Rateau. La solution passerait-elle par les canaux digitaux ? Pas si sûr… « À l’hôpital, moins de 10% des médecins ouvrent les mails en provenance des laboratoires pharmaceutiques », rappelle Yann Rateau. De nouveaux modes de communication, d’échanges et de partages sont donc à inventer, puis expérimenter. Un challenge de plus dans un contexte où le réglementaire a le dernier mot.
[1] CPTS : communauté professionnelle territoriale de santé
[2] MSP : Maison de santé pluriprofessionnelle
[3] SMR : service médical rendu