Marketing numérique : trop tactique, pas assez stratégique
De très nombreuses questions se posent aux entreprises pharmaceutiques dans le domaine du marketing numérique : quel est le bon mix digital/VM ? Comment s’adresser aux patients ? Quel canal, quel réseau social choisir ? Que média faut-il privilégier : site, visite virtuelle, web documentaire, serious game ? Autant d’interrogations qui ne peuvent être résolues qu’à travers une stratégie numérique globale. Or l’approche stratégique est aujourd’hui peu privilégiée : c’est encore la tactique, le one shot (par définition sans suite), qui domine – alors qu’à moyen terme, le marketing pharmaceutique sera avant tout un web marketing.
Doc 2.0 : grandes lignes et vision
« Il n’y a pas si longtemps, explique Denise Silber, dirigeante de Basil Strategies, le seul marketing mix à la disposition de l’industrie pharmaceutique s’appuyait sur trois piliers : la visite médicale, la presse et les relations publiques – le tout étant focalisé sur le médecin. Cette communication se déployait dans un seul sens, top/down, à l’exception du délégué qui développe un échange avec le praticien. Puis les laboratoires se sont intéressés aux pharmaciens et aux associations de patients. Enfin, l’informatique est entrée en masse dans les cabinets médicaux ». Parallèlement, ont surgi de multiples interlocuteurs : nouvelles sociétés, associations professionnelles, éditeurs, institutions gouvernementales, syndicats, sans oublier les patients eux-mêmes qui surfent activement sur le web. Enfin, la révolution digitale a achevé de bouleverser le marketing mix de fond en comble. En quelques années, le temps de « l’industrie pharmaceutique qui seule chuchotait à l’oreille des médecins » a été balayé avec pour résultat que la « share of voice », la part de voix, des labos a été très entamée. Désormais, la question que se posent les labos, et à laquelle les sociétés conseil doivent apporter des réponses, est : que peut-on faire d’efficace dans le paysage encombré de la communication numérique ?
Les laboratoires sont confrontés à principalement deux défis.
1) Comment utiliser Twitter et à quoi peut-il servir pour un labo ? On recense 2 millions d’utilisateurs de Twitter en France contre 23 millions d’utilisateurs de Facebook, mais cet écart ne rend pas moins puissante la plateforme. Selon les dernières enquêtes, on parle beaucoup de Twitter mais on l’utilise encore assez peu dans les stratégies d’entreprise. Cependant, certaines firmes (Dell, Pepsi) ont bien compris les avantages de ce mode de communication qui privilégie l’instantanéité. Et l’industrie pharmaceutique ? Selon le baromètre de Basil Strategies (nombre d’abonnés, de tweets etc), on trouve en tête du classement le LEEM, Roche, Pfizer France, Novartis France, Biogarand. Mais l’important est que l’on compte sur Twitter très peu de laboratoires actifs ; en outre, les labos ont tendance à regarder ce que font les autres labos. Si on compare les performances des labos à celles d’autres organismes de santé, on voit que c’est la Croix rouge qui domine, suivie du ministère de la santé, et loin derrière, en bas de tableau, quelques entreprises du médicament.
2) La e-réputation ou l’image véhiculée par une marque sur tous les types de supports numériques. On trouve dans ce domaine de multiples possibilités d’optimisation numérique de la stratégie de marque. Ainsi AstraZeneca a mis en ligne un site d’information sur le thème de l’asthme (asthmaclic.fr) comportant un volet interactif qui plonge l’internaute dans un environnement virtuel. A travers un « serious game », l’internaute est invité à choisir un avatar, puis à identifier les facteurs déclenchants ou aggravants de l'asthme et à découvrir les points essentiels à ne pas négliger pour un asthmatique dans chacun des environnements proposés. L’objectif est d’adopter les bons réflexes et gagner ainsi en autonomie dans la gestion de son asthme.
Le marketing numérique substitue à la notion traditionnelle de retour sur investissement (ROI), très réductrice, celle de retour sur la relation tout en réduisant le rapport coût/contact. « La santé, conclut Denise Silber, n’est pas isolée du monde réel et dans celui-ci, les individus ne veulent plus être les jouets d’un marketing ordinaire. Nous voulons désormais que les entreprises nouent une relation avec nous-mêmes. Les supports numériques sont des outils privilégiés, à côté des pratiques connues comme le face to face, pour développer une nouvelle approche relationnelle qui est l’une des composantes d’une stratégie marketing Produit ». En dépit du fait que selon la dernière étude menée par le CESSIM, le premier support d’information pour les médecins reste la presse professionnelle et que le deuxième est la visite médicale : car la recherche quotidienne d’informations médicales passe maintenant par internet.
Le digital en temps réel du LEEM
Le LEEM a développé en 2012 une stratégie numérique principalement en direction des réseaux sociaux, avec l’ouverture au mois de mai d’une page Facebook et depuis la rentrée la création d’un compte Twitter. Pourquoi Twitter ? « Cela nous permet d’avoir une relation plus proche avec les blogueurs, explique Marta Kuznicki, responsable de la communication digitale du syndicat. De plus, cette relation d’empathie crée spontanément des ambassadeurs ». La stratégie digitale du LEEM est en fait tous azimuts avec une présence sur Dailymotion et sur Linkedin. « A chaque fois que l’on ouvre une page sur un réseau social, cela entraîne une production de contenus et une mise à jour quotidienne. Pour notre institution, il y a une double dimension : il ne s’agit pas d’une simple émission d’information, mais d’un échange sur tel ou tel univers (médecins, universitaires, institutionnels etc) ». Pour 2013, le LEEM entend s’ouvrir encore plus au grand public et développer les contenus innovants (par exemple le web documentaire) sur l’ensemble des supports numériques : LEEM.org, Facebook, Twitter, Linkedin, Dailymotion.
Le digital du côté du marketing santé
« Depuis quelques années, les investissement dédiés à la promotion des produits semblent accuser une baisse, observe Constance Sabbagh, Multicanal Marketing and Customers Solutions Director chez MSD ».
Alors que les investissements sont en recul, les labos doivent s’adresser à de plus en plus d’acteurs dans la prise en charge : médecins, pharmaciens, patients, infirmières etc. Le marketing digital permet de communiquer différemment et de s’adresser à ces multiples acteurs. Selon l’enquête mondiale menée par le cabinet Manhattan Research, on note qu’internet est devenu pour les médecins un outil indispensable, sollicité tout au long de la journée y compris durant les consultations. Mais les patients sont devenus eux-mêmes des acteurs et ce changement de comportement est suscité par le recours à internet pour la recherche documentaire : il n’est pas rare que les patients en savent (ou croient en savoir) autant que les praticiens avant d’entrer en consultation. Il faut remarquer aussi que l’utilisation des supports technologiques évolue rapidement : selon une étude de Morgan Stanley, en 2015, la connexion internet par smart phone ou tablette dépassera celle du PC fixe. « Pour les laboratoires, les canaux numériques sont souvent utilisés comme une alternative à la force de vente (VM) avec des opérations de type one shot qui répondent à une problématique à court terme ». Or il y a bien un enjeu stratégique avec la communication digitale . Par ailleurs, les labos consacrent moins de 10% de leur budget de communication au numérique, alors que la moyenne dans l’industrie en général est de 20% (France).
Passer de la tactique à la stratégie, c’est passer du digital au multicanal et intégrer progressivement tous les canaux pour engager le client dans une communication on line. Pour cela, voici les challenges à relever pour l'industrie :
- Définir les stratégies digitales, structurer les organisations et investir. Le client doit répondre à la question : quelle est ma stratégie on line globale en tant qu’entreprise pharmaceutique ? Il faut noter que les organisations diffèrent d’une entreprise à l’autre. Investir suppose une décision prise au plus haut niveau du management.
- Développer des plans multi-canaux intégrés répondant à des objectifs stratégiques pour les marques
- Développer la capacité d'analyse, les segmentations... Enfin, selon un sondage récent, dans cinq ans le marketing sera pour l’essentiel un digital marketing.