Perspectives et nouvelles missions de l’officine
Notre première matinale de l’année s’est ouverte sur le thème : Quelles perspectives pour l’officine ? Trois invités ont pu délivrer leurs visions de l’avenir du métier de pharmacien dont les missions sont en pleine évolution : Lucien Benattan, président du Groupe PHR, Philipe Gaertner,président de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France et Franck Le Meur, directeur des Opérations de Zentiva (France).
Du parcours de soins au parcours de santé, par Lucien Benattan
« Au départ, il y a plus de vingt ans, l’idée était de réunir des pharmaciens autour de la notion d’achat. Puis très vite, dès 1993, on s’est rendu compte qu’en travaillant sur la notion d’achat et sur celle de fédération d’indépendants, on s’inscrivait dans l’accompagnement des pharmaciens avec comme perspective de ne pas subir l’avenir mais de le construire : c’est ainsi que PHR est né. Aujourd’hui, des pharmacies (1378 adhérents) ont choisi le mode du groupement et environ 500 ont adopté le mode de l’enseigne avec deux marques, Viadys et Pharma Référence, ultime étape de l’organisation. La feuille de route de PHR est d’utiliser la force du collectif pour anticiper et accompagner les changements. Compte tenu de l’évolution sociétale et des révolutions technologiques, nous sommes en pleine mutation tant dans l’organisation de l’officine que dans le métier lui-même. Il est clair qu’on est en train progressivement de passer de la notion de parcours de soins à celle de parcours de santé dans lequel les pharmaciens ont toute leur place et il leur revient de saisir cette opportunité ».
Présentation de Zentiva par Franck Le Meur
« Zentiva est la filiale de Sanofi dédiée aux médicaments génériques. Zentiva emploie 6500 collaborateurs au service de plus de 800 millions de personnes en Europe. 70% de nos médicaments ont leurs principes actifs fabriqués en Europe ; la quasi totalité de notre production est européenne et la moitié est française. Enfin, Zentiva est le quatrième acteur du marché du médicament en France ».
Présentation de la PLFSS 2014 et de l’accord CNAM signé le 9 janvier 2014, par Philippe Gaertner
PLFSS 2014. « On note plusieurs évolutions sur certains articles (13, 46, 47, 49, 50) du code de la sécurité sociale et de la santé publique :
- Apparition d’une taxe de 20% sur la prise de marge de la vente en gros hors génériques. Cette taxe a suscité un émoi dans la profession car certains ont cru comprendre qu’elle s’appliquait sur le chiffre d’affaires. Or, en réalité, elle se monte en moyenne à 0,3% du CA après abattement, ce qui limite son impact économique.
- Expérimentation de la délivrance de certains antibiotiques à l’unité à compter du 1er avril 2014 et pour une période de 3 ans. Il est intéressant de constater qu’il s’agit d’une expérimentation et non d’une application massive tous azimuts. Je pense que, du point de vue de la santé publique, s’il y a une réelle opportunité d’éviter que traînent des boîtes d’antibiotiques dans les armoires à pharmacie, le rôle du pharmacien est d’accompagner ce mouvement. En outre, il ne faut pas négliger la possibilité de définir un modèle qui un jour arrivera en France, celui de la préparation de doses administrées (aide aux personnes âgées à domicile dont on sait qu’elles éprouvent des difficultés à respecter leur traitement).
- Création d’une liste de référence des médicaments biosimilaires et instauration d’un droit de substitution pour les pharmaciens. Il s’agit d’un enjeu important pour l’industrie pharmaceutique.
- Modification de la remise sur les génériques. Aujourd’hui, les génériques font le tiers des résultats d’une officine. Il y a deux propositions gouvernementales : d’abord, la transparence ; ensuite, transférer au réglementaire la fixation du coût.
- Les mesures économiques globales pour 2014 (champ Objectifs Nationaux des Dépenses d’Assurance Maladie). On remarque que l’industrie du médicament et des dispositifs médicaux est particulièrement touchée puisque sur un montant de 2,4 Mds d’économies, on a 1,08 Md de baisses de prix demandées, ce qui représente un très gros effort ».
Protocole d’accord signé le 9 janvier 2014 avec la CNAM. « C’est un accord en trois volets : les génériques, la rémunération et les missions. Pour les génériques, l’objectif de taux de substitution est maintenu à 85%. Côté rémunérations, l’évolution se ferait en deux étapes à partir du 1er janvier 2015 : création d’un honoraire de dispensation par boîte de médicament de 0,80 € et création d’un honoraire complémentaire pour les ordonnances complexes de 0,50 € par dispensation. Au total, pour 2015, 91% des officines seront gagnantes (gain moyen : 1867 €/an). Au 1er janvier 2016, cet honoraire est porté à 1€ HT. Dernier volet, les missions : il y a la mise en place d’un accompagnement, d’une part pour les patients asthmatiques afin de les aider à mieux utiliser les dispositifs médicaux et mieux observer leur traitement, d’autre part pour les patients bénéficiant de traitements à « risque de mésusage » (toutes les ordonnances pour lesquelles le prescripteur doit indiquer quel est le pharmacien dispensateur ; c’est le cas, par exemple, des traitements substitutifs aux opiacées).
Table ronde : à la lumière de ce qui a été exposé, quelles perspectives pour l’officine en 2014 et au-delà ?
Franck Le Meur : « A propos de la transparence, en particulier sur les prix, il faut faire attention à ne pas en abuser pour faire baisser les prix. L’industrie dispose de filières fortes qui emploient 50 000 personnes en Europe, c’est un secteur porteur, et une pression accrue sur les prix peut entraîner un affaiblissement, une perte de valeur comme on le voit en Angleterre et en Espagne.
Lucien Benattan : « L’Etat providence, c’est fini. Si l’on réfléchit à la pharmacie de demain, je crois que son avenir ne repose pas uniquement sur le développement des produits OTC. Ce marché des OTC ne construira pas le business model de la pharmacie de demain. Le cœur de métier des pharmaciens sera dans l’accompagnement, en particulier l’accompagnement des patients atteints de maladies chroniques, mais aussi dans la vente de services. Sur le point de la dispensation des médicaments à l’unité, le pharmacien, en tant qu’acteur de la société, doit participer à l’évolution et répondre aux besoins des clients et patients, et ainsi collaborer à l’expérimentation envisagée par les pouvoirs publics. Enfin, je ne crois pas à la vente de médicaments sur internet : seulement 4% des Français ont acheté des médicaments sur internet, alors qu’ils sont 33% à déclarer souhaiter le faire. L’absence de proximité, de conseils, de relation humaine constitue un gros obstacle à la vente en ligne.
Philippe Gaertner : « Il faut garder à l’esprit que le médicament remboursable représente 85% du marché de l’officine. Donc la dispensation de médicaments restera le métier de base du pharmacien. A moyen terme, il n’y a pas de croissance possible sur les prix et sur les volumes. En France, il existe une stabilité des volumes grâce à la croissance démographique et au vieillissement de la population qui compensent à peu près la baisse tendancielle du nombre de boîtes vendues par habitant. S’il y a croissance, elle peut se trouver autour des services et des accompagnements en face à face des patients, notamment ceux atteints d’asthme. Il y a aujourd’hui une attente d’échanges et de lieux de paroles pour les patients, lesquels commencent à avoir une vision différente de ce que peut leur apporter le pharmacien. Ce qui compte, c’est avant tout l’intérêt du patient ».
Lucien Benattan : « Sur la question des relais de croissance, je suis persuadé que les pharmaciens ont un rôle majeur à jouer dans la MAD (maintien à domicile), dans l’action des EHPAD et même dans l’enseignement puisque nous avons obtenu de certaines régions la possibilité de faire dans les écoles de la prévention à la santé et d’initier à la diététique. Il y a aussi des pharmaciens qui entretiennent le plan prévention santé dans des PME.
Franck Le Meur : « Le pharmacien doit développer les capacités d’écoute, d’accueil, d’échanges et nous, en tant qu’industriels, nous pouvons l’aider durablement. Le contact humain est irremplaçable ».
Denis Briquet pour la FNIM