Quel avenir pour les congrès en France ?
Les congrès médicaux et scientifiques représentent près des deux tiers de l'activité totale des congrès en France, et environ un milliard d'euros de retombées économiques, sur un total de 1,6 milliard d'euros. Or le PLFSS 2013 prévoit de taxer les congrès au même titre que les dépenses promotionnelles. Alors les congrès sont-ils réellement menacés ? La France perdra-t-elle beaucoup en termes d’attractivité ? Eléments de réponse avec Nassima Mimoun, Frédéric Bedin, Dimitri Verza et Eric Phélippeau*.
Pour mieux cerner la réalité des congrès médicaux, la Fnim a procédé à une enquête en ligne début février auprès de 235 personnes, médecins généralistes (17%) et spécialistes (43%), pharmaciens (14%) et autres métiers de la santé (26%). Il en ressort une dizaine de faits marquants :
- 41% des MG se rendent à des congrès ou manifestations professionnelles de 2 à 5 fois/an et 26% plus de 5 fois/an ; idem pour les MS (49% de 2 à 5 fois/an). Environ 2/3 des pharmaciens assistent à moins de 2 congrès/an. Pour les autres métiers, la moitié des sondés déclarent se rendre à moins de 2 congrès/an.
- A la question « Consultez-vous les sites de spécialité pour vous informer ? », une grosse majorité des sondés (89% des MG, 97% des MS) répondent par oui. La proportion est plus faible pour les pharmaciens (60%).
- Plus spécifiquement, consultent-ils des sites dédiés à des congrès ? C’est vrai pour 74% des MG et 79% des MS, 60% des pharmaciens ; mais 44% des autres métiers répondent par la négative.
- Visionnent-ils des vidéos relatives à des congrès ? Oui à 70% pour les MG et 62% pour les MS ; mais les pharmaciens sont beaucoup moins assidus, peut-être parce qu’ils sont très occupés avec les clients dans les officines.
- Quelles sont les attentes en matière de congrès ? D’abord apprendre ou mettre à jour les connaissances (96% des MG, 72% des pharmaciens), ensuite rencontrer/échanger (76% des pharmaciens, mais 45% des MS), puis sortir de la pratique professionnelle et enfin, enseigner/intervenir en public (21% du total des sondés).
- Au chapitre de la satisfaction, 80% des sondés se déclarent satisfaits des congrès.
- A la question « Souhaiteriez-vous vous rendre plus souvent à des congrès ? », le oui l’emporte à 66% (74% pour les MG et les autres métiers). - Afin de suivre plus facilement les différents congrès, le rôle d’internet est plébiscité par 2/3 de l’échantillon (67% des MS). Mais à la question « Etes-vous satisfait des suivis et congrès sur internet ? », 59% des interviewés répondent par la négative, avec une forte proportion de MS (65%). « Pour les professionnels qui travaillent sur les supports numériques, commente Eric Phélippeau, on voit qu’il y a là une marge de progression importante. Mais il faut aussi tenir compte de la dimension relationnelle : internet ne peut se substituer à une présence physique dans les congrès ».
- 1 sondé sur 2 accepterait de participer financièrement à une inscription à un congrès (61% des MS).
- Enfin, 67% de l’échantillon considèrent que les congrès retransmis sur internet optimisent le suivi des grands rendez-vous internationaux.
Sauver l’attractivité de la France
Pour Frédéric Bedin, « la loi Bertrand n’interdit pas de financer des congrès, mais oblige à la transparence, ce qui entraîne des lourdeurs administratives. Il faut savoir que s’il y avait 5 à 10% de congressistes en moins en France, la perte en TVA, donc pour le fisc, serait supérieure à deux fois la recette complémentaire de la taxe. Il faut faire attention à ne pas briser l’attractivité du pays en terme de congrès qui attirent des chercheurs et des investissements en corrélation avec le crédit impôt recherche. Ce qui reviendrait à financer des congrès à l’étranger et donc à favoriser le dépôt de brevets à l’étranger. Il semble qu’à Bercy, on ait compris l’enjeu. Dans l’ensemble, s’il y a quand même un surcoût pour le financement de congrès en France, il n’est pas insurmontable pour les clients, la contribution se montant à 3,75% après abattement de 75% sur la taxe.
Par ailleurs, ce que demandent les professionnels de la santé dans les congrès n’est plus d’assister à des discours ex cathedra, mais de co-construire la formation ou la mise à niveau des connaissances. Les gens, dans tous les secteurs, ont besoin de participer, de coopérer, de partager les expériences au sein d’une co-formation. Dans l’univers des congrès, l’un des faits majeurs, ce sont les rencontres, et l’on retrouve ici l’importance de la dimension relationnelle évoquée plus haut : les médecins ou les pharmaciens ont besoin de rencontrer d’autres médecins et pharmaciens. L’autre fait majeur est la création de contenus et là, la communication numérique joue un rôle crucial ».
Le modèle économique du e-business, c’est d’associer au numérique des rencontres physiques, des événements réels et non pas virtuels. Marc Simoncini, le fondateur de Meetic, a rappelé que sa société a commencé à être rentable lorsqu’il a créé les fêtes, les dîners ou les voyages Meetic. Pour résumer, les trois enjeux des congrès pour les professionnels de santé sont :
1) Simplifier l’accès aux données
2) Faciliter l’accès numérique aux contenus, les pérenniser à long terme et les sécuriser
3) Favoriser le développement de relations entre confrères.
Une sélection par la qualité
« Quand on observe d’une part la quantité de congrès qui se déroulent en France, sans même évoquer ceux à l’étranger, et d’autre part le temps que peuvent leur consacrer les professionnels de la santé, il est évident que le seuil de saturation est atteint », explique Dimitri Derza. C’est particulièrement vrai en cancérologie où il y a environ une cinquantaine de manifestations par an rien qu’en France. De plus, si l’on se réfère à l’étude en ligne menée par la Fnim, les professionnels de la santé qui assistent à plus de 5 congrès/an ne représentent que 18% de l’échantillon. « Bref, il n’y aura pas de place pour tout le monde. D’ailleurs on assiste déjà aux Etats-Unis à une baisse de fréquentation ainsi qu’à une baisse du nombre de congrès nationaux et internationaux, baisse due aussi à des restrictions budgétaires. Je pense qu’une sélection par la qualité va s’opérer et que le modèle économique actuel, sous-tendu par l’industrie pharmaceutique, va évoluer : comme indiqué plus haut, chacun doit participer à hauteur de son engagement ».
En ce qui concerne les contraintes qui pèsent sur l’organisation de congrès, elles sont de trois ordres : juridique, réglementaire (taxe) et structurel. Par le terme structurel, il faut entendre les mesures pour améliorer la compétitivité (multiples plans sociaux), mais aussi l’évaluation problématique du ROI (retour sur investissement). Il est clair que dans cet environnement, le rôle du digital est prépondérant, à condition de clarifier l’offre. « Aujourd’hui, avec les virtual meetings, les journaux en direct et en différé, les news letters etc, un médecin est exposé à une dizaine de canaux d’information sur un même sujet produits par des sociétés différentes. Il y aura fatalement une sélection naturelle par la qualité et la création de valeur ».
Le coût de la participation en question « Commençons par quelques constats, déclare Nassima Mimoun : on l’a vu, il y a un très (trop ?) grand nombre de congrès en France comme ailleurs ; ensuite, on note une baisse de la fréquentation, ce qui pose la question des investissements, qui sont lourds (ateliers, stands, symposium, vidéos…), lors des congrès ; puis, la pratique des soirées de gala, des voyages ou des invitations de prestige, qui existent encore dans le programme de certains congrès, nous, chez BMS, nous la récusons, car cela nuit à l’image des laboratoires ; enfin, le coût de la participation qui représente une part importante de nos investissements : on s’interroge sur l’intérêt d’une présence à telle ou telle manifestation, spécialement en période de crise et de réduction générale des coûts. Il y a donc, d’une part, des choix à faire parmi les congrès, même si l’on sait qu’ils sont irremplaçables en termes de mises à niveau des savoirs scientifiques, d’échanges d’expertises et de proximité. D’autre part, il faut viser la sobriété dans la représentation publicitaire sur place : il n’est pas sûr qu’une grande surface de stand garantisse une plus grande efficacité de la communication, et de plus, cela peut entraîner des effets négatifs sur l’image de marque du laboratoire. Dans le contexte actuel, il nous faut faire très attention à tout ce qui pourrait entacher, en termes de stratégie de communication, la réputation des laboratoires ».
* Nassima Mimoun, senior directeur Onco-hématologie chez BMS ; Frédéric Bedin, DG Le Public System Hopscotch ; Dimitri Verza, dirigeant de l’agence Kephren ; Eric Phélippeau, président de la Fnim.