Sunshine Act à la française : questions et incertitudes
Il y avait affluence à notre matinale de rentrée 2013*, et pour cause : le thème retenu – les nouvelles obligations de la loi Bertrand-Sunshine Act – touche le cœur de nos métiers, et de nos intérêts. Affluence, mais aussi animation, en particulier lors de la séance des Q&R qui a mis en lumière les écarts qui peuvent exister entre une loi et une multitude de cas particuliers échappant au cadre législatif forcément général.
Tour d’horizon du Sunshine Act (Caroline Mascret**)
La loi Bertrand du 29/12/2011, qui a pour objet de renforcer la sécurité sanitaire, repose sur la notion de transparence des liens et modifie profondément les relations entre industriels et acteurs de la santé. La loi répond à deux objectifs distincts :
1) Avec la transparence des liens d’intérêt et la DPI (déclaration publique d’intérêt) sont concernés d’abord les experts. « En fait, précise Caroline Mascret, cela fait dix ans que l’ANSM et la HAS ont décrit les contours de la DPI ». Selon la circulaire DGS du 29/5/2013, le dispositif “transparence”, en permettant l’accès des citoyens aux informations qu’il vise, leur assure une appréciation objective des relations entre professionnels de santé (PS) et industrie.
2) La loi anti-cadeaux. Selon le même décret, ce dispositif a pour but le contrôle des liens de certains PS et assure que ceux-ci ne sont guidés que pas des considérations d’ordre médical.
Que faut-il rendre public ? D’une part, la publication de l’existence des conventions (et non le montant car il y aurait atteinte à la vie privée) entre les entreprises et les différents PS ; d’autre part, la publication des avantages en nature ou en espèce procurés directement ou indirectement au-delà de 10€. (Pour plus de détails, se reporter aux slides 10 et 11 de la présentation)
Qui est concerné ?
- Les PS
- Les étudiants se destinant aux professions de santé
- Les associations d’usagers ou du système de santé
- Les établissements de santé
- Les fondations, sociétés savantes, conseils
- Les entreprises éditrices de presse, de radio ou TV ou de communication en ligne
- Les personnes dont l’activité est d’éditer à titre professionnel ou non, un service de communication en ligne
- Les éditeurs de logiciels LAP/LAD (aide à la prescription/dispensation)
- Les personnes morales assurant la formation initiale des PS.
Quelles entreprises ?
- Entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité cosmétiques et des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme (produits vétérinaires exclus)
- Entreprises assurant des prestations associées à ces produits, à titre principal ou subsidiaire
- Une activité de prestations de services techniques nécessaires à l’utilisation d’un produit de santé
- Une activité de prestations de services liés à la prise en charge de ces produits par les régimes obligatoires de SS
- Une activité de communication et de publicité liées à ces produits
- Ou tout autre entreprise agissant pour le compte d’industries de santé et assurant une prestation liée à ces produits de santé.
Deux cas de figure : éditeur prestataire et éditeur bénéficiant d’une prestation
Dans le premier cas, intervient la notion centrale d’indépendance éditoriale, c’est-à-dire la maîtrise des décisions : choix des auteurs, des sujets… L’entreprise édite sous sa propre responsabilité et il n’y a pas obligation à rendre publics les conventions ou avantages. « Si l’indépendance éditoriale n’est pas respectée, reprend Caroline Mascret, il y a obligation de publication. Un exemple : réalisation d’un hors-série financé par un laboratoire. Mais, autre exemple : un document réalisé avec le soutien financier d’un laboratoire mentionné en couverture, sans caractère promotionnel ; si l’éditeur choisit les auteurs, les rémunère et signe le BAT (notion d’indépendance), l’éditeur n’a rien à rendre public. En revanche, le laboratoire doit publier la convention ou le contrat passés avec l’éditeur ». A la question : qui publie les conventions ?, la circulaire précise qu’il ne doit pas y avoir de double publication pour une même opération, ce qui suppose une mise au point entre le client et l’éditeur : d’un côté le client publie le contrat passé avec l’éditeur, d’un autre côté l’éditeur publie la convention passée avec le PS (sauf PS étranger domicilié hors de France) et les avantages.
Dans le second cas, les entreprises pharmaceutiques doivent rendre publiques les conventions conclues avec les éditeurs et ceux-ci doivent publier, s’il y a lieu, les avantages (par exemple, un déjeuner de travail). Pour les contrats entre laboratoires et presse professionnelle incluant achats d’espace, numéros spéciaux, abonnements, parrainages, les montants n’ont pas à être publiés.
Obligations complexes du journaliste vis-à-vis de la loi
- S’il est salarié, pigiste, indépendant, il n’est pas soumis à publication
- S’il est blogueur, il doit publier
- S’il participe à un voyage de presse, pas de publication
- Mais si ce voyage de presse est réservé à des patrons de presse, il doit y avoir publication (par l’organisateur du voyage ? Ou par le patron de presse ?)
- S’il est médecin, inscrit à l’Ordre, mais n’exerce pas sa profession, quid ?
- S’il est journaliste de presse généraliste, il n’est pas concerné par la loi car il est hors du champ d’application qui concerne la presse scientifique et médicale, la presse spécialisée destinée aux PS et les agences de presse (y compris les généralistes ?).
Où et quand publier ?
En attendant la mise en place par les autorités d’un site unique, à titre transitoire on publie :
- Sur le site des entreprises
- Sur le site des Ordres pour les PS, les associations de PS et les étudiants.
Quand ? Pour les conventions, dans un délai de 15 jours après signature ; pour les avantages, au plus tard le 1er août pour le premier semestre, au plus tard le 1er février pour le second semestre. Les informations doivent rester accessibles durant 5 ans.
Les sanctions
45 000€ d’amende pour le fait d’omettre sciemment de publier. Jusqu’à 225 000*€ pour les entreprises. (Sans compter les peines complémentaires, voir slide 23).
Point de vue du LEEM (Blandine Fauran, directrice juridique)
« Ce qui a changé dans la perception de la transparence et de la publication des liens, c’est son objet : on est passé de la gestion des conflits d’intérêt dans le cadre de la prise décision par les autorités publiques à l’information du grand public. Tout le monde est d’accord sur le chapitre de la transparence, à condition d’éviter un surcroît de complexité administrative. Malheureusement, cet objectif n’est pas tout à fait atteint. Il est clair que les pouvoirs publics ont voulu obtenir un haut niveau de détails. Nous avions demandé que le seuil de déclaration des avantages soit de 60€, or il a été fixé à 10€ et peut-être descendra-t-il à 1€... Comment arriver à atteindre l’objectif de transparence fixé par la loi avec des modalités qui finalement sont anti-transparence ? La première publication aura lieu au 1er octobre, nos laboratoires sont en train de finaliser leurs déclarations et ce qui risque de se passer, c’est que, le niveau de détail de l’information étant tellement élevé, les publications soient illisibles. En effet, les publications vont apparaître sur des tableaux PDF images, scannés, pour éviter qu’elles soient indexées par les moteurs de recherche, comme l’exige le décret, ce qui représente des dizaines de milliers de lignes et de pages. Mais les pouvoirs publics se rendent bien compte de la complexité du système. Ainsi la DGS développe le futur site unique public sous forme d’une base de données, des formats qui permettront aux entreprises de transférer leurs bases de données internes à la DGS. L’objectif des pouvoirs publics est que le site soit opérationnel pour la prochaine campagne de publication, c’est-à-dire qu’il soit ouvert au public pour le 1er avril 2014 pour les données du second semestre 2013».
Point de vue de l’AACC Santé (Alexandra Basset, responsable juridique)
« On constate de grosses difficultés dans l’application de certaines modalités de la loi, notamment pour les déclarants, agences et laboratoires, qui doivent éviter les doublons. En principe, lorsque l’agence a recours à un expert pour le compte d’un laboratoire, dans le cadre du contrat de collaboration, c’est à ce dernier qu’il revient de déclarer et de publier. Si une agence emploie un expert pour son propre compte, par exemple pour effectuer des recommandations générales, c’est sur elle que reposent les obligations résultant du Sunshine Act. La campagne de publication sur internet s’ouvre le 1er octobre et il est clair que ces premières déclarations/publications sont expérimentales. Côté agences, la question se pose du temps passé à établir les déclarations : il faut bien rémunérer ce temps passé. Dans le cas où un client demande à une agence de déclarer pour lui, il convient de rémunérer cette prestation supplémentaire ? En fait, on note une multiplication de cas particuliers et c’est le rôle des parties prenantes de se faire entendre ».
Denis Briquet pour la FNIM
*Eric Phélippeau, président de la FNIM, a annoncé que la fédération comptait désormais 55 membres. A la réunion du 25/9, il y avait plus de 60 inscrits.
** Maître de conférence en droit pharmaceutique.