La crise sanitaire a chamboulé notre quotidien, mais aussi la société dans laquelle nous vivons. Elle a contraint à revoir certains comportements, certaines façons de penser, voir, prévoir… En santé publique, elle oblige à innover, inventer plus vite. A commencer par un vaccin. Mais le confinement a eu aussi pour effet de révéler aux Français les bienfaits de la téléconsultation. Rapide, efficace, qualitative, elle a facilité, en particulier, la prise en charge des patients atteints de pathologies chroniques et confinés chez eux. La Matinale de rentrée de la FNIM, organisée le 16 septembre 2020 dans les salons de l’Aéro-Club de France, à Paris, a été l’occasion de s’interroger sur cette consultation à distance : que révolutionne-t-elle dans notre système de soins ? Permet-elle une véritable relation de confiance entre patient et médecin ? Comment est-elle perçue par les Français au lendemain du confinement ?... Autant de questions auxquelles Lina Williatte, professeur de droit à l’Institut catholique de Lille, avocate au barreau de Lille, spécialisée en santé numérique, et vice-présidente de la Société française de santé digitale (SFSD), Arnault Billy, directeur général de Maiia (Cegedim), opérateur chez les médecins, pharmaciens et paramédicaux, ainsi que le Dr Jean-François Deverre, Médecin Généraliste à Triel-sur-Seine, ont apporté des éléments de réponses et autres pistes de réflexion.
Elle a d’abord suscité l’intérêt de quelques passionnés. Puis, elle est longtemps restée au stade d’alternative mal connue, voire méconnue des professionnels de santé. La téléconsultation n’a rien de nouveau, mais le confinement l’a révélée aux soignants, comme aux soignés. « Au début, on pensait qu’elle permettait juste de voir un médecin derrière un écran. Or, la téléconsultation, c’est bien plus que ça », rappelle Lina Williatte. Professeur de droit à l’Institut catholique de Lille, avocate au barreau de Lille, spécialisée en santé numérique, et vice-présidente de la Société française de santé digitale (SFSD), elle a distingué trois périodes : 2009-2018, où la téléconsultation bénéficie d’un cadre légal (depuis 2009), mais reste très en marge de la pratique quotidienne des professionnels de santé ; 2018-mars 2020, où l’Assurance maladie s’implique dans la téléconsultation et les blouses blanches commencent à y prêter une certaine attention ; enfin, depuis le confinement, la juriste observe un début de banalisation de la consultation à distance en France. A quelques nuances près : « Le lien de confiance entre patient et médecin se noue plutôt bien avec une population jeune, urbaine, habituée au Net. En revanche, c’est plus compliqué avec une population vieillissante. » Or, la confiance, c’est un élément clé dans le concept même de téléconsultation. D’ailleurs la SFSD s’est fixé comme objectif de promouvoir « un usage humaniste et responsable » de la télémédecine en général et de la téléconsultation en particulier. Quant au profil des personnes prêtes à consulter éloignées, une étude menée par Maiia – solution de téléconsultation –, à la sortie du confinement, confirme que celles-ci sont âgées de 40 ans en moyenne, ont au moins un enfant de moins de 18 ans (61,2%) et un quart d’entre elles vivent à Paris ou dans sa région.
27% des Français ont « téléconsulté » au cours des 12 derniers mois
Maiia maitrise son sujet. Non seulement son dispositif permet la prise de rendez-vous, mais il met aussi en relation des patients avec leur médecin traitant le temps d’une consultation, avec ou sans rendez-vous. A cela s’ajoute le choix entre une téléconsultation « autonome » ou une téléconsultation « accompagnée », avec un pharmacien par exemple. Le patient se rend alors dans l’officine où il a ses habitudes, pour la consultation à distance. Aujourd’hui, Maiia recense quelque 110 000 praticiens de santé équipés pour la prise de rendez-vous et 20 000 médecins téléconsultants, dont 70% de généralistes. Parmi les 30% de spécialistes, les psychiatres et les dermatologues arrivent en tête des utilisateurs. Au total, ce sont 2 millions de patients touchés et la prise de 50 000 rendez-vous par jour, avec un temps d’attente de moins de 5 minutes. Sur le papier, rien à redire : la « machine » fait ses preuves, « tout en respectant la philosophie du parcours de soins et le renforcement du maillage territorial des praticiens de santé », souligne Arnault Billy, directeur général de Maiia, entité intégrée au sein de Cegedim. L’étude menée à l’issue du confinement confirme d’ailleurs la popularité grandissante de la téléconsultation : ainsi 96% des Français en ont déjà entendu parler (34% par le biais d’un article de presse et 23% par un professionnel de santé) et 27% ont eu recours à la téléconsultation au cours des 12 derniers mois (parmi eux, 39% ont entre 25 et 34 ans). Quant aux motifs qui poussent à solliciter un médecin à distance : un quart consultent pour une maladie chronique et 43,3% recourent à la téléconsultation « en cas de symptômes ». Toutefois, quelques freins persistent. A commencer par l’absence de contact direct avec le professionnel de santé pour 59,1% des Français interrogés. Suivent le manque de confiance sur la qualité de la consultation (29,5%) et la réticence à changer de médecin traitant pour 36,2% des personnes interrogées. Car, les Français ne sont que 18% à spécifier que leur médecin propose déjà la téléconsultation et 54,3% espèrent que celui-ci s’y mettra bientôt. Autre écueil, d’ordre technique cette fois : parmi les 74,1% de téléconsultants qui ont fait l’objet d’une prescription, 40,6% ont rencontré au moins une difficulté avec l’ordonnance émise pour récupérer le traitement. La faute à quoi ? A l’impression, la lisibilité du document ou encore la transmission à la pharmacie. Malgré cela, quand on demande aux Français s’ils sont convaincus par leur « expérience » de la téléconsultation, 52% se disent « très satisfaits » et cela se traduit par une note de 16,6 / 20, l’équivalent (au bac ou à la fac) d’une mention « très bien ».
« L’important, c’est l’écoute, la confiance et l’échange que le patient a avec son médecin »
« Avant la Covid, la téléconsultation représentait à peine 10% de mes actes. Elle est passée à plus de 20% pendant le confinement et désormais elle frôle les 30%. » Ce constat est celui du Dr Jean-François Deverre, généraliste à Triel-sur-Seine, dans les Yvelines. La téléconsultation, il s’y intéresse et la pratique depuis plusieurs années déjà. « L’important, c’est l’écoute, la confiance et l’échange que le patient a avec son médecin », explique cet ancien praticien du « 15 », où, comparé à la téléconsultation, « je ne pouvais pas faire de prescription ». Même s’il approuve le système créé par Maiia, auquel il adhère de surcroît, il reconnaît toutefois quelques limites au dispositif : « Pour des téléconsultations de dermato ou liées à un problème de gorge, par exemple, les patients envoient des photos et ça se passe très bien. En revanche, quand ça concerne les oreilles… il faut voir le malade. » La consultation à distance revêt donc un caractère complémentaire à la consultation en ville : elle répond à une urgence, à une situation particulière tel qu’un confinement… Jean-François Deverre ne la perçoit pas comme une concurrence, mais plutôt comme un outil, une opportunité pour intervenir en Ehpad, quand le généraliste n’a plus le temps de se déplacer, ou encore pour pallier la problématique des déserts médicaux. Il regrette, par ailleurs, que les infirmières ne se mettent pas à la téléconsultation, « comme c’est le cas chez les Inuits ! ». Quant à ceux qui redoutent l’infidélité des téléconsultants pour leur(s) téléconsulté(s), Arnault Billy les rassure : « Chez Maiia, on observe une certaine fidélité des patients pour leur praticien ». Jean-François Deverre souligne une même tendance de la part des patients pour leur pharmacien « connecté ». Autre point qui suscite bon nombre d’interrogations : la sécurisation des données, à l’heure de Google… Réponse d’Arnault Billy : « Cegedim est son propre hébergeur de données. » Et ça change tout ! La preuve : Cegedim héberge aussi des concurrents de Maiia. A cela s’ajoute la problématique de la traçabilité. « La téléconsultation ne peut pas être enregistrée sans le consentement du patient », rappelle Lina Williatte. Reste le tracé des fichiers, autorisé et même spécifié dans la loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires) de 2009, « ce qui ne fait qu’augmenter la relation de confiance avec le patient », explique le directeur général de Maiia. Et ce d’autant qu’aujourd’hui tout se connecte - ou presque -, du stéthoscope jusqu’au tensiomètre.
Le nord de l’Europe dit « oui » à la téléconsultation…
Si la Covid a changé le regard des Français sur la téléconsultation, à l’étranger on adhère au dispositif depuis longtemps. Certes, après l’épisode du confinement, l’Hexagone risque fort de passer de 10% de téléconsultants à 15% « dans les prochains mois », prévoit Arnault Billy. Il n’en demeure pas moins que le nord de l’Europe et le Royaume-Uni sont « plutôt en avance, avec déjà 15 à 20% de téléconsultation », indique le directeur général de Maiia. Quant aux Etats Unis, un récent assouplissement réglementaire a permis de réaliser des levées de fonds pour soutenir le développement de la consultation à distance. Une dynamique est donc lancée. Chez nous, quelques signes se veulent des plus encourageants : selon l’étude menée par Maiia, la moitié des Français n’ayant pas encore testé la téléconsultation ont l’intention d’y recourir et 73,6% qui l’utilisent déjà vont continuer de mettre un écran entre eux et leur médecin traitant.