La France n’est plus le premier pays producteur de médicaments en Europe. La faute aux dispositions politiques et économiques pénalisantes adoptées pendant plusieurs années. La crise sanitaire a ainsi mis en évidence notre dépendance à l’égard de principes actifs, y compris parmi les plus essentiels, désormais produits principalement en Inde et en Chine. À titre d’exemple, dans le domaine des biothérapies, la France dépend à 95% des importations. Malgré ce contexte, le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) du 29 juin 2021 témoigne d’une volonté de l’État de redresser la barre. C’est-à-dire hisser à nouveau la France au rang de première nation européenne, innovante et souveraine, en santé. Et ce, d’ici à 2030. Mais la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) est-elle en phase avec les ambitions du CSIS 2021 ? Est-il possible de rattraper notre retard ? Comment redynamiser la production de médicaments dans l’Hexagone ?... Autant de questions qui ont été posées lors de la Matinale de la FNIM du 19 janvier 2022, organisée en présentiel dans les locaux de l’Aéroclub de France, à Paris. Pour y répondre et décrypter les coulisses du CSIS, Éric Baseilhac, expert en économie de la santé, a accepté de participer à une session d’échanges informels, animée par Pierre-Louis Prost, trésorier de la FNIM. Ancien médecin généraliste et diplômé de Sciences Po, Éric Baseilhac a travaillé dans l’industrie pharmaceutique (Janssen et Lilly) avant de diriger les affaires économiques et internationales du LEEM.
« Le Covid-19 a été à la fois un révélateur et un accélérateur. Un révélateur du besoin de réforme. Un accélérateur, avec des prises de décisions fortes à la suite du CSIS 2021. » Éric Baseilhac a amorcé ainsi son propos lors de la dernière Matinale de la FNIM. Le directeur les affaires économiques et internationales du LEEM a toutefois rappelé que cette nécessité de réformer préexistait à la crise. Politique du médicament à redynamiser, hôpital à sauver, désertification médicale à endiguer… ces urgences ne sont pas nouvelles. Mais la crise les a accentuées, exacerbées. Politiques, observateurs, opinion publique… tous ont pris conscience de la situation : notre système de santé a de nombreux atouts, mais il donne aussi quelques signes de fragilité. « Le virus a remis les choses à leur place : la santé est le primat de l’économie. Les rues désertes des grandes capitales du monde, durant le premier confinement, ont montré comment l’économie pouvait se retrouver anéantie à cause de la santé », a souligné Éric Baseilhac. Un contexte qui a permis de pointer, en France, la baisse significative de la part des dépenses de médicaments qui s’est opérée ces dernières années. « Celle-ci représentait 14% de l’Ondam en 2010, contre 11% en 2020 », a précisé le représentant du LEEM. Explication du phénomène : « La sur-régulation qui a conduit à la délocalisation de nombreuses entreprises pharmaceutiques. » Or, en 2010, la France était encore le premier pays producteur de médicaments en Europe. Elle n’est plus qu’au quatrième rang aujourd’hui. « Le LEEM a pourtant alerté de la situation à plusieurs reprises. Mais on ne nous entendait pas », a commenté Éric Baseilhac. Un retard à l’allumage qui serait dû aux doutes de certains régulateurs quant à l’influence du marché intérieur sur la politique d’investissement de l’industrie pharmaceutique. À cela s’ajoute des règles qui évoluent sans cesse, au gré des LFSS. D’où une compétitivité française en berne.
« Faire de la France la première nation innovante et souveraine en santé d’ici à 2030 »
Depuis 2004, la création du CSIS permet à l’État de mieux « comprendre la santé ». Comme son nom l’indique, ce Conseil stratégique des industries de santé se veut à la fois instance exclusive de dialogue entre le gouvernement et les industriels de la santé et outil destiné à renforcer l’attractivité de la France. « Le CSIS s’apparente à un grand rendez-vous, qui a lieu tous les deux ou trois ans. C’est une sorte de contrat de mandature qui présente ce que le gouvernement souhaite mettre en place pour conduire la politique du médicament », a résumé Éric Baseilhac. Réuni - pour la 9e fois depuis 2004 - le 29 juin dernier au Palais de l’Élysée, en présence d’Emmanuel Macron et de plusieurs membres du gouvernement, le CSIS 2021 a permis de bâtir un programme stimulé par la crise sanitaire et baptisé « Innovation Santé 2030 ». Son objectif : « Faire de la France la première nation innovante et souveraine en santé d’ici à 2030. » Audacieux. Ambitieux. La méthode : transformer l’écosystème de recherche, réformer l’accès des patients aux innovations et restaurer l’attractivité et la compétitivité industrielles de la France. Lors du CSIS 2021, il a été évoqué de forts investissements de la part de l’État - sept milliards d’euros -, mais aussi des industriels. Le tout combiné à une simplification et un décloisonnement des différents acteurs de la recherche en France. Ce CSIS, inscrit dans une démarche initiée depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, a donc pris toute son importance, sa pertinence, en pleine crise sanitaire. Il a également confirmé le caractère stratégique de l’industrie pharmaceutique. La suite dépend de la traduction de ces annonces dans la LFSS. Car il faut dégager des moyens supplémentaires et renouer avec la croissance.
Des réformes et une petite révolution
Éric Baseilhac voit d’un bon œil la dynamique instaurée par le CSIS. Le nouvel accord-cadre, signé en mars 2021 entre le CEPS et le LEEM, avait d’ailleurs préfiguré cette dynamique. De quelle façon ? En développant un volet destiné à encourager, par des accords de stabilité de prix, à la fois les investissements industriels productifs, numériques, en R&D, ainsi que les exportations. Le CSIS a également inscrit, dans la loi, la localisation de la production (dès lors qu’elle répond à une problématique d’approvisionnement), comme nouveau critère à prendre en compte, dans la détermination du prix. Ce vent de réforme souffle sur l’accès des médicaments depuis le CSIS 2018, avec la réforme des ATU dont la complexité était devenue dissuasive pour de nombreux industriels. Depuis le 1er juillet 2021, une nouvelle procédure, dite d’accès précoce, est mise en œuvre, réduisant le nombre de mécanismes à deux (accès compassionnel et accès précoce), instaurant la HAS en guichet unique et simplifiant les mécanismes de régulation économique. Pour les médicaments non éligibles à l’accès précoce, la réforme de l’accès direct présentée dans le CSIS 2021, et inscrite dans la dernière LFSS, va rendre les médicaments représentant un progrès thérapeutique (ASMR 1 à 4) accessibles aux patients, dès l’avis de la Commission de la Transparence. Cette petite révolution va ainsi permettre, « mécaniquement », de replacer les délais d’accès français dans les 180 jours de la réglementation européenne. Enfin, la réforme autorisant les médicaments d’ASMR 4 à être inscrits sur la liste en sus (et donc à être financés directement par l’Assurance maladie) est désormais effective, grâce au CSIS, par un décret entré en application au 1er janvier dernier. « Un véritable pas en avant, notamment dans le traitement des cancers, qui rétablit une équité d’accès aux nouveaux médicaments sur tout le territoire », souligne Eric Baseilhac.
« Le bugdet n’est pas adapté aux besoins »
Si le LEEM n’appartient pas en tant que tel au CSIS, en revanche il participe activement aux concertations sur l’élaboration des propositions, des lois et des décrets, a expliqué Éric Baseilhac. Une façon d’insuffler des idées, inspirer des pistes de réflexion, servir de « cheville ouvrière ». Ce que le nouveau gouvernement, à venir, aura à mener après ce CSIS ? « Adapter la croissance du budget des médicaments aux besoins liés à l’innovation thérapeutique, à la relocalisation des produits matures essentiels et à l’attractivité », a répondu Eric Baseilhac. Puis, il a précisé : « Certes, nous assistons en 2021 à une augmentation historique du chiffre d’affaires brut des médicaments (+10%), mais le niveau de croissance régulée fixée par la LFSS cette même année n’est que de 0,5%. Un tel écart entre le marché et le budget témoigne de l’ampleur de la clause de sauvegarde que l’industrie devra être amenée à reverser et, plus grave encore, de la sous-capitalisation du budget que notre pays alloue au médicament. » L’expert en économie de la santé a également constaté : « Lorsqu’on raisonne en chiffre d’affaires net, cela ne représente plus qu’une hausse de 3,9% ». Parallèlement, le CSIS n’a pas encore résolu la problématique de sous-dotation du budget dédié au médicament. Éric Baseilhac parle de « sous médicalisation » : Autrement dit : « Le bugdet n’est pas adapté aux besoins. » Or, il faut financer des postes tels que la formation ou les produits matures essentiels. Quant aux tests du Covid-19, s’ils sont intégrés dans le budget de la Sécurité sociale et donc dans l’Ondam, ce n’est pas le cas des vaccins, qui relèvent des finances publiques. « Attention quand ils vont revenir dans le budget de la Sécurité sociale, car ils représentent plusieurs milliards », a prévenu Éric Baseilhac. L’expert en économie de la santé a également convenu que l’hôpital allait faire l’objet de nombreux « efforts d’investissement ». Alors quid de l’industrie pharmaceutique ? « Nous voulons notre juste part », a confié le représentant du LEEM. Quitte à faire preuve d’originalité : « Certains médicaments, comme ceux de la thérapie génique, pourraient apparaître comme des investissements plutôt que des dépenses et, ainsi, ne pas sortir du budget de la Sécurité sociale. À l’instar de ce qui se fait déjà avec les vaccins du Covid. » Autre sources d’économies possibles : « Le bon usage du médicament, le développement du numérique et les gains d’efficience dans le parcours de soins. » En guise de conclusion, Éric Baseilhac espère la publication des derniers décrets liés au CSIS 2021, avant la présidentielle. Par ailleurs, selon lui, « le gros chantier du prochain gouvernement sera l’adaptation des médicaments aux besoins ». Enfin, il est formel : « Il faut relocaliser, sans mondialiser. »
À SAVOIR :
En marge de la campagne pour l’élection présidentielle, le LEEM a réactivé sa plateforme La Santé Candidate (www.lasantecandidate.fr), créée en octobre 2016. Il s’agit d’un comparateur des programmes santé de chaque candidat déclaré dans la course à l’Élysée. Utile et instructif.